vendredi 14 septembre 2007

Le dernier adieu de Rachel

(d'après l'oeuvre originale d'Yvon Lemieux)


Le dernier adieu de Rachel

C’est au mois de mai 1992 que Rachel, assise dans un fauteuil roulant poussé par son gendre, et accompagnée de son Ernest, est venue revoir la maison où elle a vécu avec sa famille durant vingt-cinq ans. Ils avaient emménagé dans cette demeure, située au coin du boulevard Lévesque et de la rue Desnoyers, au mois de mai 1962.

C’était une vieille maison ancestrale de six pièces, en bois jaune avec les garnitures brunes et munie d’un bay-window à l’avant. À l’arrière, un vieux garage en bois qui ignorait la peinture et une cour immense, avec des arbres, trois pruniers, des framboisiers, un jardin et des fleurs autour de la maison.

Pour la première fois depuis leur départ de leur Saint-Denis natal, ils se sentaient vraiment chez eux. Ils avaient comme voisins deux familles : les Lefebvre et les Rousseau qui habitaient un duplex avec, eux aussi, une grande cour qui côtoyait la nôtre sans clôture.

Souvent, les soirs d’été, les jeunes voisins faisaient de la musique, et tout le monde se réunissait dans la cour. Ça chantait et faisait la fête parfois très tard.

Puis les enfants se sont mariés les uns après les autres. La maison se vidait, mais ils revenaient très souvent. Tout l’été, les enfants et petits-enfants venaient se baigner dans la piscine paternelle et pique-niquer dans la cour. L’hiver, Ernest faisait des montagnes de neige avec sa souffleuse et pratiquait le ski de fond dans sa cour.

Bien sûr, il y eut des moments plus difficiles pour Rachel. Le divorce de quelques enfants, la mort d’un bébé de sa fille à l’âge d’une semaine, son opération dans le pied, sa chute dans l’escalier en allant nourrir Max, le gros Saint-Bernard de sa fille, la piqûre de guêpe à la gorge qui faillit la faire mourir, puis leur départ de ce paradis quand un promoteur a acheté leur terrain et démoli le duplex des voisins pour construire des condos dans ce site enchanteur qui a maintenant tout perdu son charme. Leur maison a été épargnée parce qu’elle était classée patrimoniale, mais ils ont dû la quitter quand même.

Mais, en ce matin ensoleillé du mois de mai, ce n’était pas à ces malheurs qu’elle pensait, Rachel, quand elle dit de sa voix faible et chevrotante de femme atteinte de la sclérose latérale amyotrophique : « Que c’était beau ! Que c’était beau ! »

C’était la dernière fois qu’elle voyait sa maison. Un mois plus tard, elle décédait.

1 commentaire:

gaelac a dit…

Si j'ai bon souvenir, c'est dans cette maison que j'ai rencontré deux charmantes personnes qui sont devenus de grands amis dans les années suivantes.

Gaétane