Acrylique d'après une photo de Noëlle
Le bouquet de noce
Ce soir , après le chapelet, pendant que la mère
couchait les enfants, le bonhomme se rassoyait pour fumer une dernière pipe, la
meilleure de la journée, et il demandait à Hortense, sa fille aînée :
- Ma fille, entre donc un peu de bois pour le
déjeuner, demain.
Hortense sortait et revenait avec quelques rondins ;
elle ne pouvait pas en prendre beaucoup, car elle avait déjà sa brassée. Alors
le bonhomme disait :
- Eh, ma fille, comme tu as les bras courts !
C’était de même chaque soir. Puis Hortense s’allait
coucher en rougissant.
Un dimanche après-midi, un grand gars s’amène. Pour
qui vient-il ? Le grand gars ne le dit pas. Hortense s’offre à prévenir son
père. Le gars n’est pas pressé : « Dérangez-le pas; je vais
l’attendre ici .» Pour ne pas être impolie, Hortense l’attend avec lui.
Quand le bonhomme rentre, il voit le cavalier et il n’est pas content. Le soir,
après le chapelet, Hortense lui demande :
- Voulez-vous que j’aille quérir du bois?
Le bonhomme répond :
- Non ma fille.
Alors Hortense va se coucher, bien plus rouge que
d’habitude.
La noce eut lieu deux mois plus tard. À la fin de la
soirée il n’y avait plus de coin, tout le monde était rond. On avança devant la
porte la voiture du marié. Comme Hortence y montait, le cheval se cabra, elle
échappa son bouquet. D’un coup de fouet le marié remit la bête d’aplomb.
- Fais-toi obéir lui cria-t-on.
Pour toute réponse il brandissait son fouet, puis il
détendit les guides. Hortense ne riait pas, et le grand galop les emporta.
En revenant de faire son train, le lendemain, le
bonhomme fronça les sourcils : on venait à travers champ en robe de noce.
Il entra et à sa femme dit :
- Je crois que le curé a mal appliqué le sacrement.
Regarde un peu qui nous revient : c’est Hortense par travers champs.
La femme dit au bonhomme :
- Fume ta pipe et reste tranquille.
Hortense ouvrit la porte ; de ses bras courts elle
pressait un chagrin plus lourd que les rondins. Quand elle vit son père
impénétrable, faisant de la fumée pour cacher son sentiment, les bras lui
tombèrent, mais cela ne changea rien : le chagrin était bien attaché.
- Bonjour, ma fille, dit la mère. Tu viens sans doute
chercher ton bouquet ? Le voici. Je l’ai ramassé dans la poussière : les
roues de la voiture avaient passé dessus.
Hortense pris le bouquet. La mère dit au
bonhomme :
- Attelle et va reconduire ta fille chez elle.
Le bonhomme la reconduisit donc. Chemin faisant, il
fumait sa pipe, il ne disait pas mot. Et
près de lui, sous la pluie, Hortense tenait son bouquet défleuri.
Jacques Ferron, Contes